Le cran d’arrêt ou Jacques Verdier
Par Nicolas Surlapierre (conservateur du musée d’art et d’histoire de Belfort)
« … Jacques Verdier veut un texte simple, il dit aimer les choses simples alors que rien n’est plus paradoxal que ses papiers découpés, déchirés qu’il utilise dans la grande tradition des affichistes comme du pigment, il peint, il dessine avec, il a déjà dû être dit maintes fois qu’il n’a pas du sang sur les mains mais du papier, pour des raisons familiales et sans doute aussi pour des questions des formes héritées de la modernité, laquelle est pour l’artiste largement incertaine, sa prétendue fin comme sa continuité supposée. Le paradoxe n’est pas temporel, il ne relève pas non plus simplement de l’histoire culturelle, il réside dans le mélange étrange entre gestualité d’un travail qui vient d’une certaine tradition de l’expressionnisme abstrait mais également d’une capacité à savoir arrêter le geste. Son geste tombe où il veut et ce n’est pas la moindre des surprises de voir à travers ses structures blanches une ponctuation assez mallarméenne du hasard. Il le suit et ne lui laisse que la possibilité d’être rectifié, corrigé, par un autre collage, par un peu de peinture, il n’en sort que plus adapté aux situations que Jacques Verdier admet dans son système. Tout est compression dans son travail, peut-être parce que ce terme est mieux adapté dans sa compacité aux limites des formes, totems fragiles à la grammaire approximative où les mots s’empilent dans une syntaxe qui est moins perdue que recouverte. Le papier (matériaux premier de l’artiste) est génétiquement parlant une compression, la pâte est essorée de sorte que les mots qui restent à la surface semblent n’avoir pas pu traverser le tamis incompréhensible de la composition, ils sont lisibles et permettent une répartition de l’espace à qui il donne sa chance et pourtant ils ne racontent rien ce qui ne veut pas dire qu’ils ne disent rien.
Le travail de Jacques Verdier a connu différentes étapes, le temps des « oppositions », celui des collés froissés ou encore des carrés magiques qui parlent de ses doutes, de ces manques de certitude, il fixe les choses selon des combinatoires archéologiques pour voir si justement elles ressemblent à ce dont il doute, il pressent plus qu’il n’affirme que les signes ont pu avoir des liens entre eux, relations sur lesquelles il ne cherche pas à donner d’explications. Un historien qui prendrait le temps, ou qui l’aurait vraiment, parlerait de la pratique de l’art selon le rythme et les codes des arts martiaux ; il saurait rappeler que l’univers du papier renvoie aux civilisations asiatiques au moins dans l’imaginaire (que cela soit juste ou non), que l’art martial contrôle le corps et, finalement, observe les protocoles tels le collage ou l’encollage à l’endroit où ils savent s’arrêter même si le tout est chargé ou sur-chargé d’informations collectées et redistribuées dans un recyclage un peu improvisé et b(r)ouillon. Remarquer cela ne dit rien du rituel du retranché, ses œuvres ne sont pas que le regard sur cette civilisation du papier, avant ou après l’imprimerie, typographique ou idéogrammes elles empilent les ressemblances. Yves Klein a bien fait du judo une pratique de l’iconologie, pourquoi ne pas faire de l’art martial de Jacques Verdier une circulation dans une iconographie caviardée, une réflexologie iconique désormais moins froissée que cabossée. »